
PROGRAMME
- Maurice RAVEL (1875-1937)Histoires Naturelles M.50nº1 ⎼ « Le paon », nº2 ⎼ « Le grillon »sur les textes de Jules Renard
- Francis POULENC (1899-1963)Quatre poèmes d’Apollinaire« L'Anguille », « Carte postale », « Avant le cinéma », « 1904 »
- Henri SAUGUET (1901-1989)« Comme à la lumière de la lune »sur un poème de Marcel Proust
- Léon DELAFOSSE (1874-1955)« Mensonges »sur un poème de Marcel Proust
- Claude DEBUSSY (1862-1918)Trois ballades de François Villon L.119« Ballade de Villon à s’amye », « Ballade que Villon fait à la requeste de sa mère », « Ballade des femmes de Paris »
- Robert SCHUMANN (1810-1856)« Ballade vom Heideknaben » n°1, op.122sur un texte de Friedrich Hebbel
- André JOLIVET (1905-1974)« Pour te parler »nº5 des poèmes intimes de Louis Émié
- Georges APERGHIS (1945)« Le Rire Physiologique »Texte de Raymond Devos
- Francis POULENC (1899-1963)Chansons Gaillardes« La Maîtresse volage », « Chanson à boire », « Madrigal »,« Invocation aux Parques », « Couplets bachiques », « L'Offrande », « La Belle Jeunesse », « Sérénade »
Maurice RAVEL - Histoires Naturelles
nº1 ⎼ Le paon, texte de Jules Renard
Il va sûrement se marier aujourd'hui.
Ce devait être pour hier.
En habit de gala, il était prêt.
Il n'attendait que sa fiancée.
Elle n'est pas venue.
Elle ne peut tarder.
Glorieux, il se promène
avec une allure de prince indien
et porte sur lui les riches présents d'usage.
L'amour avive l'éclat de ses couleurs
et son aigrette tremble comme une lyre.
La fiancée n'arrive pas.
Il monte au haut du toit
et regarde du côté du soleil.
Il jette son cri diabolique :
Léon ! Léon !
C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée.
Il ne voit rien venir et personne ne répond.
Les volailles habituées
ne lèvent même point la tête.
Elles sont lasses de l'admirer.
Il redescend dans la cour,
si sûr d'être beau
qu'il est incapable de rancune.
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire
du reste de la journée,
il se dirige vers le perron.
Il gravit les marches,
comme des marches de temple,
d'un pas officiel.
Il relève sa robe
à queue toute lourde des yeux
qui n'ont pu se détacher d'elle.
Il répète encore une fois la cérémonie.
nº2 ⎼ Le grillon, texte de Jules Renard
C'est l'heure où, las d'errer,
l'insecte nègre revient de promenade
et répare avec soin le désordre de son domaine.
D'abord il ratisse ses étroites allées de sable.
Il fait du bran de scie qu'il écarte
au seuil de sa retraite.
Il lime la racine de cette grande herbe
propre à le harceler.
Il se repose.
Puis il remonte sa minuscule montre.
A-t-il fini ? Est-elle cassée ?
Il se repose encore un peu.
Il rentre chez lui et ferme sa porte.
Longtemps il tourne sa clé
dans la serrure délicate.
Et il écoute :
Point d'alarme dehors.
Mais il ne se trouve pas en sûreté.
Et comme par une chaînette
dont la poulie grince,
il descend jusqu'au fond de la terre.
On n'entend plus rien.
Dans la campagne muette,
les peupliers se dressent comme des doigts
en l'air et désignent la lune.
Francis POULENC - Quatre poèmes d’Apollinaire
1. L'Anguille
Jeanne Houhou la très gentille
Est morte entre des draps très blancs
Pas seule Bébert dit l'Anguille
Narcisse et Hubert le merlan
Près d'elle faisaient leur manille
Et la crâneuse de Clichy
Aux rouges yeux de dégueulade
Répète « Mon eau de Vichy »
Va dans le panier à salade
Haha sans faire de chichi
Les yeux dansant comme des anges
Elle riait, elle riait
Les yeux très bleus les dents très blanches
Si vous saviez, si vous saviez
Tout ce que nous ferons dimanche.
2. Carte postale
L'ombre de la très douce est évoquée ici,
Indolente, et jouant un air dolent aussi:
Nocturne ou lied mineur qui fait pâmer son âme
Dans l'ombre où ses longs doigts font mourir une gamme
Au piano qui geint comme une pauvre femme.
3. Avant le cinéma
Et puis ce soir on s'en ira
Au cinéma
Les Artistes que sont-ce donc
Ce ne sont plus ceux qui cultivent les Beaux-arts
Ce ne sont pas ceux qui s'occupent de l'Art
Art poétique ou bien musique
Les Artistes ce sont les acteurs et les actrices
Si nous étions des Artistes
Nous ne dirions pas le cinéma
Nous dirions le ciné
Mais si nous étions de vieux professeurs de province
Nous ne dirions ni ciné ni cinéma
Mais cinématographe
Aussi mon Dieu faut-il avoir du goût.
4. 1904
À Strasbourg en dix-neuf-cent-quatre
J'arrivai pour le lundi gras
À l'hôtel m'assis devant l'âtre
Près d'un chanteur de l'Opéra
Qui ne parlait que de théâtre
La Kellnerine rousse avait
Mis sur sa tête un chapeau rose
Comme Hébé qui les dieux servait
N'en eut jamais. Ô belles choses
Carnaval chapeau rose Ave!
À Rome à Nice et à Cologne
Dans les fleurs et les confetti
Carnaval j'ai revu ta trogne,
Ô roi plus riche et plus gentil
Que Crésus Rothschild et Torlogne
Je soupai d'un peu de foie gras
De chevreuil tendre à la compôte
De tartes flans et cetera
Un peu de kirsch me ravigote
Que ne t'avais-je entre mes bras.
Henri SAUGUET - Comme à la lumière de la lune
sur un poème de Marcel Proust
La nuit était venue, je suis allé à ma chambre, anxieux de rester maintenant dans l’obscurité sans plus voir le ciel, les champs et la mer rayonner sous le soleil,
Mais quand j’ai ouvert la porte, j’ai trouvé la chambre illuminée comme au soleil couchant. Par la fenêtre je voyais la maison, les champs, le ciel et la mer, ou plutôt il me semblait les « revoir » en rêve ; la douce lune me les rappelait plutôt qu’elle ne me les montrait, répandant sur leur silhouette une splendeur pâle qui ne dissipait pas l’obscurité, épaissie comme un oubli sur leur forme.
Et j’ai passé des heures à regarder dans la cour le souvenir muet, vague, enchanté et pâli des choses qui, pendant le jour, m’avaient fait plaisir ou m’avaient fait mal, avec leurs cris, leurs voix ou leur bourdonnement.
L’amour s’est éteint, j’ai peur au seuil de l’oubli ; mais apaisés, un peu pâles, tout près de moi et pourtant lointains et déjà vagues, voici, comme à la lumière de la lune, tous mes bonheurs passés et tous mes chagrins guéris qui me regardent et qui se taisent. Leur silence m’attendrit cependant que leur éloignement et leur pâleur indécise m’enivrent de tristesse et de poésie,
Et je ne puis cesser de regarder ce clair de lune intérieur.
Léon DELAFOSSE - Mensonges
sur un poème de Marcel Proust
Si le bleu de l'opâle est tendre
Est-ce d'aimer confusément?
Le clair de lune semble attendre
Un cœur qui saura le comprendre.
La douceur du ciel bleu sourit au cœur aimant.
Si le bleu de tes yeux est triste
Comme un doux regret qui persiste
Est-ce d'aimer ce qui n'existe
Pas en ce monde? Aimer est triste.
Tes yeux vagues, tes yeux avides,
Tes yeux profonds hélas! sont vides,
Profonds et vides sont les cieux
Et la tendresse du bleu pâle
Est un mensonge dans l'opâle
Et dans le ciel et dans ses yeux.
A Léon Delafosse qui, plus merveilleux que le Roi Midas qui changeait tout en or, change tout en harmonie, même les vers les plus sordides, à travers son inspiration et sous ses doigts magiques.
Claude DEBUSSY - Trois ballades de François Villon
1. Ballade de Villon a s'amye
Faulse beauté, qui tant me couste cher,
Rude en effect, hypocrite doulceur,
Amour dure, plus que fer, à mascher;
Nommer que puis de ma deffaçon seur.
Charme felon, la mort d'ung povre cueur,
Orgueil mussé, qui gens met au mourir,
Yeulx sans pitié! ne veult Droict de Rigueur
Sans empirer, ung povre secourir?
Mieulx m'eust valu avoir esté crier
Ailleurs secours, c'eust esté mon bonheur:
Rien ne m'eust sceu de ce fait arracher;
Trotter m'en fault en fuyte à deshonneur.
Haro, haro, le grand et le mineur!
Et qu'est cecy? mourray sans coup ferir,
Ou pitié peult, selon ceste teneur,
Sans empirer, ung povre secourir.
Ung temps viendra, qui fera desseicher,
Jaulnir, flestrir, vostre espanie fleur:
J'en risse lors, se tant peusse marcher,
Mais las! nenny: ce seroit donc foleur,
Vieil je seray; vous, laide et sans couleur.
Or, beuvez, fort, tant que ru peult courir.
Ne donnez pas à tous ceste douleur
Sans empirer, ung povre secourir.
Envoi
Prince amoureux, des amans le greigneur,
Vostre mal gré ne vouldroye encourir;
Mais tout franc cueur doit, par Nostre Seigneur,
Sans empirer, ung povre secourir.
2. Ballade que Villon fait à la requeste de sa mère
Dame du ciel, regente terrienne,
Emperière des infernaulx palux,
Recevez-moy, vostre humble chrestienne,
Que comprinse soye entre vos esleuz,
Ce non obstant qu'oncques riens ne valuz.
Les biens de vous, ma dame et ma maistresse,
Sont trop plus grans que ne suys pecheresse,
Sans lesquelz bien ame ne peult
Merir n'avoir les cieulx,
Je n'en suis mentèresse.
En ceste foy je vueil vivre et mourir.
À vostre Filz dictes que je suys sienne;
De luy soyent mes pechez aboluz:
Pardonnez-moy comme à l'Egyptienne,
Ou comme il feut au clerc Theophilus,
Lequel par vous fut quitte et absoluz,
Combien qu'il eust au diable faict promesse.
Preservez-moy que je n'accomplisse ce!
Vierge portant sans rompure encourir
Le sacrement qu'on celebre à la messe.
En ceste foy je vueil vivre et mourir.
Femme je suis povrette et ancienne,
Qui riens ne sçay, oncques lettre ne leuz;
Au moustier voy dont suis paroissienne,
Paradis painct où sont harpes et luz,
Et ung enfer où damnez sont boulluz:
L'ung me faict paour, l'aultre joye et liesse.
La joye avoir faismoy, haulte Deesse,
A qui pecheurs doibvent tous recourir,
Comblez de foy, sans faincte ne paresse.
En ceste foy je vueil vivre et mourir.
Envoi
[Vous portastes, digne Vierge, princesse,
Iesus regnant, qui n'a ne fin ne cesse.
Le Tout-Puissant, prenant nostre foiblesse,
Laissa les cieulx et nous vint secourir,
Offrit à la mort sa tres chiere jeunesse.
Nostre Seigneur tel est, tel le confesse,
En ceste foy je vueil vivre et mourir.]
3. Ballade que Villon fait à la requeste de sa mère
Quoy qu'on tient belles langagières
Florentines, Veniciennes,
Assez pour estre messaigières,
Et mesmement les anciennes;
Mais, soient Lombardes, Romaines,
Genevoises, à mes perils,
Piemontoises, Savoysiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.
De beau parler tiennent chayeres,
Ce dit-on Napolitaines,
Et que sont bonnes cacquetières
Allemandes et Bruciennes;
Soient Grecques, Egyptiennes,
De Hongrie ou d'aultre païs,
Espaignolles ou Castellannes,
Il n'est bon bec que de Paris.
Brettes, Suysses, n'y sçavent guèrres,
Ne Gasconnes et Tholouzaines;
Du Petit Pont deux harangères les concluront,
Et les Lorraines,
Anglesches ou Callaisiennes,
(ay-je beaucoup de lieux compris?)
Picardes, de Valenciennes...
Il n'est bon bec que de Paris.
Envoi
Prince, aux dames parisiennes,
De bien parler donnez le prix;
Quoy qu'on die d'Italiennes,
Il n'est bon bec que de Paris.
Robert SCHUMANN - Ballade vom Heideknaben
sur un texte de Friedrich Hebbel
Der Knabe träumt, man [schicke] ihn fort
Mit dreißig Thalern zum Heide-Ort,
Er ward drum erschlagen am Wege
Und war doch nicht langsam und träge.
Noch liegt er im Angstschweiß, da rüttelt ihn
Sein Meister und heißt ihn, sich anzuziehn
Und legt ihm das Geld auf die Decke
Und fragt ihm, warum er erschrecke.
«Ach Meister, [mein] Meister, sie schlagen mich todt,
Die Sonne, sie ist ja wie Blut so roth!»
«Sie ist es für dich nicht alleine,
Drum schnell, sonst mach' ich dir Beine!»
«Ach Meister, mein Meister, so sprachst du schon,
Das war das Gesicht, der Blick, der Ton,
Gleich greifst du» - zum Stock, will er sagen,
Er sagt's nicht, er wird schon geschlagen.
«Ach Meister, mein Meister, ich geh, ich geh,
Bring' meiner [Frau] Mutter das letzte Ade!
Und sucht sie nach allen vier Winden,
Am Weidenbaum bin ich zu finden!»
Hinaus aus der Stadt! Und da dehnt sie sich,
Die Haide, nebelnd, gespenstiglich,
Die Winde darüber sausend,
«Ach, wär hier Ein Schritt, wie tausend!»
Und Alles so still, und Alles so stumm,
Man sieht sich umsonst nach Lebendigem um,
Nur hungrige Vögel schießen
Aus Wolken, um Würmer zu spießen.
Er kommt an's einsame Hirtenhaus,
Der alte Hirt schaut eben heraus,
Des Knaben Angst ist gestiegen,
Am Wege bleibt er noch liegen.
«Ach Hirte, du bist ja von frommer Art,
Vier gute Groschen hab' ich erspart,
Gib deinen Knecht mir zur Seite,
Daß er zum Dorf mich begleite!
Ich will sie ihm geben, er trinke dafür
Am nächsten Sonntag ein gutes Bier,
Dies Geld hier, ich trag' es mit Beben,
Man nahm mir im Traum drum das Leben!»
Der Hirt, der winkte dem langen Knecht,
Er schnitt sich eben den Stecken zurecht,
Jetzt trat er hervor - wie graute
Dem Knaben, als er ihn schaute!
«Ach Meister Hirte, ach nein, ach nein,
Es ist doch besser, ich geh' allein!»
Der Lange spricht grinsend zum Alten:
Er will die vier Groschen behalten.
«Da sind die vier Groschen!» Er wirft sie hin
Und eilt hinweg mit verstörtem Sinn.
Schon kann er die Weide erblicken,
Da klopft ihn der Knecht in den Rücken.
Du hältst es nicht aus, du gehst zu geschwind,
Ei, Eile mit Weile, du bist ja noch Kind,
Auch muß das Geld dich beschweren,
Wer kann dir das Ausruhn verwehren!
Komm, setz' dich unter den Weidenbaum
Und dort erzähl' mir den häßlichen Traum,
Ich träumte - Gott soll mich verdammen,
Trifft's nicht mit deinem zusammen!»
Er faßt den Knaben wohl bei der Hand,
Der leistet auch nimmermehr Widerstand,
Die Blätter flüstern so schaurig,
Das Wässerlein rieselt so traurig!
«Nun sprich, du träumtest» - «Es kam ein Mann» -
«War ich das? Sieh mich doch näher an,
Ich denke, du hast mich gesehen!
Nun weiter wie ist es geschehen?»
«Er zog ein Messer!» - «War das, wie dies?» -
«Ach ja, ach ja!» - Er zog's? - «Und stieß» -
Er stieß dir's wohl so durch die Kehle?
Was hilft es auch, daß ich dich quäle!
Und fragt ihr, wie's weiter gekommen sei?
So fragt zwei Vögel, sie saßen dabei,
Der Rabe verweilte gar heiter,
Die Taube konnte nicht weiter!
Der Rabe erzählt, was der Böse noch that,
Und auch, wie's der Henker gerochen hat,
Die Taube erzählt, wie der Knabe
Geweint und gebetet habe.
traduction française de Pierre Mathé © 2012
Un garçon rêvait qu'il avait été envoyé
Avec trente thalers quelque part sur la lande,
Et que pour cela il avait été assassiné en chemin
Bien qu'il ne fut ni lent ni indolent.
Encore au lit et couvert de sueur, il est secoué
Par son maître qui lui dit de s'habiller
Et pose de l'argent sur la couverture
En lui demandant pourquoi il est si effrayé.
« Ah, maître, [mon] maître, ils vont me battre à mort,
Le soleil est bien aussi rouge que le sang ! »
« S'il l'est, ce n'est pas que pour toi,
Alors vite, sinon je te mets sur tes jambes ! »
« Ah, maître, mon maître, tu l'as déjà dit,
C'était ta figure, ton regard, ta voix,
Tu attrapes pareillement - le bâton voulait-il dire,
Il ne le dit pas, on le battait déjà.
Ah, maître, mon maître, j'y vais, j'y vais,
Porte mon dernier adieu à [Madame] ma mère !
Et si elle me cherche aux quatre coins du monde,
On me trouvera près du saule ! »
Sorti de la ville ! Et là, voici la lande
Qui s'étend dans le brouillard, fantomatique,
Avec le vent qui y gronde,
« Ah si seulement ici, un pas comptait pour mille ! »
Et tout est calme, et tout est silencieux,
Aucune vie n'est visible alentour,
Seuls des oiseaux affamés piquent
Des nuages pour embrocher des vers.
Il arrive à une cabane de berger solitaire,
Justement, le vieux berger regarde dehors,
La peur du garçon augmente,
Il se voit encore gisant sur le chemin.
« Ah, berger, tu es bien d'un naturel dévot,
J'ai économisé quatre sous,
Demande à ton aide de venir avec moi,
Et qu'il m'accompagne jusqu'au village !
Je les lui donnerai, et avec il pourra boire
Une bonne bière dimanche prochain,
Cet argent là, je tremble de le garder sur moi,
C'est pour lui qu'en rêve on m'a pris la vie ! »
Le berger fit signe à son maigre valet,
Il était justement entrain de se tailler un bâton,
Il s'avance aussitôt - le voyant,
Le garçon frémit d'horreur !
« Ah, maître berger, ah non, ah non,
Il vaut bien mieux que j'y aille seul ! »
Le maigre en ricanant dit au vieux :
« Il veut garder ses quatre sous. »
« Voilà les quatre sous ! » il les lui jette
Et poursuit son chemin à toute vitesse, affolé.
Il peut déjà apercevoir la lande,
Quand le valet lui tape dans le dos.
« Tu n'y arriveras pas, tu vas trop vite,
Eh, hâte-toi lentement, tu n'es encore qu'un enfant,
Et puis l'argent doit aussi t'alourdir,
Qui pourrait t'interdire quelque repos !
Viens, assieds-toi sous le saule,
Et là raconte-moi ton horrible rêve,
J'ai aussi fait un rêve - que Dieu me damne
S'il ne correspond pas au tien ! »
Il attrape le garçon par la main
Qui n'oppose plus aucune résistance,
Le murmure des feuilles est si triste,
Le ruissellement du cours d'eau est si triste !
Maintenant, dis-moi - « Un homme est arrivé » -
Était-ce moi ? Regarde-moi de plus près,
Je pense que tu m'as déjà vu !
Et après, que s'est-il passé ?
« Il a tiré un couteau ! » - Était-il comme celui-là ? -
« Ah oui, ah oui : » - Il l'a tiré ? - « et l'a planté »
Il te l'a bien planté dans la gorge ?
À quoi bon te torturer !
Et vous vous demandez ce qui est arrivé après ?
Deux oiseaux assis par là aussi se le sont demandés,
Le corbeau attendait avec sérénité,
Le pigeon ne pouvait plus rien faire !
Le corbeau raconte ce que l'affreux fit,
et aussi la vengeance du bourreau,
Le pigeon raconte comment le garçon
A pleuré et a prié.
André JOLIVET - Pour te parler
Extrait des « Poèmes intimes » de Louis Emié
Pour te parler et pour te dire
Les mots que je voudrais te dire,
Je ne trouve que le silence
Ou des gestes inachevés.
Je ne trouve que des paroles
si éloignées de mon amour
que je ne les prononce pas
de peur de pouvoir te tromper.
Pour te parler et pour te dire,
les mots que je voudrais te dire,
Je ne trouve que le silence
Ou des gestes inachevés.
A …………………….
Je t’aime et je sais bien
qu’il n’est plus de secret dans ce cœur,
qui n’a plus et ne peut plus avoir
que la forme du tien.
Georges APERGHIS - Rire Physiologique
texte de Raymond Devos extrait de Sens dessus dessous
Mon pianiste est irrésistible!
Vous avez remarqué qu'il ne riait jamais!...
Il ne peut pas!
C'est physiologique...
Vous savez que, physiologiquement, le rire résulte de la contraction des muscles du visage, ce qui provoque une modification du faciès, accompagnée de sons très caractéristiques tels que:
Ha! Ha! Ha! Ha!
Ou encore:
Hi! Hi! Hi! Hi!
C'est irrésistible!
Le rire est caractérisé en outre par une respiration saccadée...
Cette respiration s'explique par une convulsion des muscles expirateurs...
Hi! Hi! Hi! Hi! Hi!
Une inspiration brutale vient de temps à autre interrompre ces convulsions...
Heursshh!
Si l'expiration nécessaire ne peut se faire à temps, le rire devient douloureux!
Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!
Le visage se congestionne,
le rieur est sur le point de s'asphyxier,
c'est irrésistible!
D'où les expressions:
"Crever de rire."
Ou:
"Étouffer de rire."
D'où aussi:
"Les plus courtes sont les meilleures."
Car si la plaisanterie dure un peu trop longtemps,
que se passe-t-il?
Les muscles abdominaux se contractent de façon spasmodique:
Hi! Hi! Hi! Hi! Hi!
- Arrêtez, vous me faites mal au ventre!
D'où, parfois... Ha!... mixtion involontaire,
c'est-à-dire que le rieur fait pipi dans sa culotte...
C'est le cas de mon pianiste... C'est pourquoi il ne rit pas.
Il se retient!
(Au pianiste)
N'est-ce pas?
Dites? Laissez-vous aller un peu à rire
pour illustrer ma démonstration!
Pianiste (se laissant aller): Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!
(Le pianiste change d'expression, se lève et sort.)
Vous voyez?... Ça fait partie de ces choses qui vous échappent!
Francis POULENC - Chansons Gaillardes
1. La maîtresse volage
Ma maîtresse est volage,
Mon rival est heureux;
S'il a son pucellage,
C'est qu'elle en avait deux.
Et vogue la galère,
Tant qu'elle pourra voguer.
2. Chanson à boire
Les rois d'Egypte et de Syrie,
Voulaient qu'on embaumât leurs corps,
Pour durer plus longtemps morts.
Quelle folie!
Buvons donc selon notre envie,
Il faut boire et reboire encore.
Buvons donc toute notre vie,
Embaumons-nous avant la mort.
Embaumons-nous;
Que ce baume est doux.
3. Madrigal
Vous êtes belle come un ange,
Douce comme un petit mouton;
Il n'est point de coeur, Jeanneton,
Qui sous votre loi ne se range.
Mais une fille sans têtons
Est une perdrix sans orange.
4. Invocation aux Parques
Je jure, tant que je vivrai,
De vous aimer, Sylvie.
Parques, qui dans vos mains tenez
Le fil de notre vie,
Allongez, tant que vous pourrez,
Le mien, je vous en prie.
5. Couplets bachiques
Je suis tant que dure le jour
Et grave et badin tour à tour.
Quand je vois un flacon sans vin,
Je suis grave, je suis grave,
Est-il tout plein, je suis badin.
Je suis tant que dure le jour
Et grave et badin tour à tour.
Quand ma femme [dort] au lit,
Je suis sage toute la nuit.
Si catin au lit me tient
Alors je suis badin
Ah! belle hôtesse, versez-moi du vin
Je suis badin, badin, badin.
6. L'offrande
Au dieu d'Amour une pucelle
Offrit un jour une chandelle,
Pour en obtenir un amant.
Le dieu sourit de sa demande
Et lui dit: Belle en attendant
Servez-vous toujours de l'offrande.
7. La belle jeunesse
Il fut s'aimer toujours
Et ne s'épouser guère.
Il faut faire l'amour
Sans curé ni notaire.
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Ne visez qu'aux tirelires,
Ne visez qu'aux tourelours,
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Ne visez qu'aux coeurs
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Holà messieurs, ne visez plus qu'aux coeurs.
Pourquoi se marier,
Quand la femme des autres
Ne se font pas prier
Pour devenir les nôtres.
Quand leurs ardeurs,
Quand leurs faveurs,
Cherchent nos tirelires,
Cherchent nos tourelours,
Cherchent nos coeurs.
8. Sérénade
Avec une si belle main,
Que servent tant de charmes,
Que vous tenez du dieu malin,
Bien manier les armes.
Et quand cet Enfant est chagrin
Bien essuyer ses larmes.